Le traumatisme chez le criminel présumé et ses répercussions judiciaires

Résumé

Les répercussions d’évènements traumatiques, dont la dissociation péri-traumatique chez les victimes, ont été étudiées à de nombreuses reprises. En constatant certaines manifestations similaires chez les auteurs d’actes criminels certains chercheurs se sont donc interrogés sur l’éventuel impact traumatique de l’acte posé. Dans cet article, extrait d’un mémoire, nous allons voir que des études ont mis en exergue la possibilité du développement d’une symptomatologie post-traumatique suite au passage à l’acte criminel. Celle-ci peut s’exprimer sur un versant mnésique dans le cadre d’une amnésie dissociative, mais aussi sur un versant affectif. Au regard des éléments relevés nous questionnons dans un second temps le retentissement que ces manifestations peuvent avoir sur le parcours judiciaire de l’auteur et plus particulièrement au moment de l’expertise psychiatrique et/ou psychologique et lors du procès. Par ailleurs, les perceptions et l’interprétation de ces manifestations preuve.

INTRODUCTION

Dès l’Antiquité, des récits relatent des symptomatologies ressemblantes à celle que l’on connait aujourd’hui du Trouble de Stress Post-Traumatique. Petit à petit, la conception de ce trouble a été étudié plus en détails, dû en partie dans un premier temps aux vétérans et aux troubles qu’ils présentaient à leur retour de combat.

Les professionnels ont pu constater l’importance de ces derniers au sein de la population générale. En effet, par exemple, dans une étude de Kessler en 1995, la prévalence du trouble de TSPT était fixé à 7,8% sur l’ensemble de la population.

Les premières études se sont alors portés majoritairement sur les victimes d’événements traumatiques mais des chercheurs, se sont alors questionnés sur ce qui en était des individus perpétrant ces agressions et crimes, en constatant chez certains, des symptômes se rapprochant de la symptomatologie des victimes.

Mais qu’en est il alors de l’auteur? Quel impact cela peut avoir sur son parcours judiciaire? et quel peut être l’impact de ce trouble, et plus précisément de l’aspect dissociatif, sur le récit du passage à l’acte criminel au cours du parcours judiciaire?

I. DISSOCIATION ET PASSAGES A LACTE CRIMINELS 

I. 1. Trauma et dissociation

Le Trouble de Stress Post Traumatique (TSPT) est un diagnostic cliniquement reconnu par l’Organisation Mondiale de la Santé, ainsi que par l’American Psychiatry Association (APA). Il est intégré en 1980 dans le DSM III et est aujourd’hui inclus dans le DSM V (APA, 2013, pp. 320-322). Au cours de ces années, le syndrome de stress post-traumatique a subi plusieurs révisions dont l’inclusion d’un sous-type dissociatif dans sa nosologie.

La dissociation péri-traumatique est la rupture immédiate ou post-immédiate de l’unité psychique au moment d’un évènement traumatique. Cet événement traumatique va provoquer une effraction psychique, les mécanismes d’adaptation de la personne vont être dépassés et provoquer un état de survie. La dissociation permet cette survie. Elle entraine une modification du temps et de l’espace ainsi qu’un sentiment d’irréalité. Les symptômes de dépersonnalisation et de déréalisation sont des symptômes dissociatifs (APA, 2013, pp. 322). Ils peuvent s’accompagner de distorsions perceptives, temporelles, d’engourdissement physiques et émotionnels et d’une sensation de manque de contrôle sur ses actions, pouvant s’installer de façon chronique. (Jehel, L., Lopez, G.,2006).

La dissociation péri-traumatique a été étudiée à maintes reprises et de nombreuses études montrent que les symptômes qui lui sont liés permettent de prédire fortement le développement de symptômes du TSPT (Birmes et al., 2003).

Nous allons voir à travers des études qu’il existe une relation entre violence et dissociation. Celle-ci peut en effet, provoquer des passage à l’acte mais aussi en découler.

I. 2.  TSPT, dissociation et passages à l’acte violents

I. 2. 1. Violences et TSPT

Dans le DSM-5, le critère sémiologique : « Altération marquée de la réactivité associé à un ou plusieurs éléments traumatiques » peut engendrer un « comportement irritable ou accès de colère (avec pas ou peu de provocation) qui s’exprime typiquement par une agressivité verbale ou physique envers des personnes ou des objets » (APA, 2013, pp. 321).

En effet, le TSPT a été fortement associé à la violence à la fois dans les populations militaires (Kulka et al., 1990) et dans les population civiles (Collins et Bailey, 1990). La question des vétérans et des troubles qu’ils ont développé après la guerre a suscité beaucoup d’intérêt et mis en lumière les premiers liens fait entre violence et traumatisme.

Orth et WIeland (2006) ont tenté d’expliquer cette corrélation en se penchant sur le sentiment de colère et le TSPT. Ils évoquent que la relation entre colère/hostilité et TSPT peut aussi s’expliquer par les tentatives de l’individu d’éviter les souvenirs liés au traumatisme et plus particulièrement le sentiment de peur.

La recherche indique un lien entre les expériences traumatiques et le comportement criminel (Ardino 2011) : les délinquants présentent une prévalence plus élevée de TSPT et de symptômes associés par rapport à la population générale pouvant être engendré par des traumatismes répétés dits complexes et ce, depuis l’enfance.

Cependant, au-delà du tableau clinique complet de TSPT, les symptômes dissociatifs semblent être majoritairement présents dans des situations de comportements violents et en être une des conséquences.

I. 2. 2. Dissociation comme conséquence du passage à l’acte

En effet, des auteurs se sont penchés sur le fait que tuer pouvait avoir un impact sur le développement de TSPT chez les militaires au combat (Laufer, Gallops, 1984).

L’interdiction morale de tuer autrui, venant violer des croyances de base sur les caractéristiques de soi et du monde. de l’être humain aurait un effet direct sur le développement d’un TSPT (Fontana, Rosenheck, 1999). En ce sens, Serge Combaluzier (2007) indique que c’est davantage le vécu subjectif de l’auteur au moment de son acte, qui enrichirait la clinique.Cela peut permettre de faire émerger l’idée que certains éléments de tableaux cliniques chez les auteurs de comportements violents sont à comprendre dans une dimension post-traumatique consécutive aux actes posés.

Une étude de Spitzer et al. (2001) a mis en évidence, chez une population de 115 individus dans un service médico-judiciaire, une prévalence de 36% de TSPT. 12% des participants rapportaient leur propre infraction criminelle comme traumatisme. C’était le traumatisme le plus commun rapporté après la victimisation durant l’enfance incluant les violences sexuelles et physiques ainsi que la négligence affective.

La dissociation peut être un élément essentiel de certaines expériences violentes, relativement indépendantes de la personnalité de l’individu. En effet, dans une revue de la littérature, Vanderwood et Leborgne (2014) pointent que la dissociation « état » ou encore transitoire, au moment du passage à l’acte, n’implique pas nécessairement une pathologie dissociative sous-jacente.

Moskowitz (2004, 2009) rapporte, quant à lui, que les expériences dissociatives sont plus susceptibles de se produire dans le cadre de violence extrême. De plus, la dissociation lors d’un acte criminel serait caractérisée par peu, voire pas de préméditation de l’acte violent, par des états émotionnels extrêmes venant déborder les mécanismes de défenses de l’individu, ainsi que par des liens affectifs avec la victime.

D’après ces études, nous pouvons nous poser la question des conséquences de ces symptômes dissociatifs sur la capacité de l’auteur à communiquer sur son passage à l’acte. En effet, nous pouvons nous interroger sur la capacité de rappel des événements par l’auteur mais aussi sur le contenu émotionnel qui pourrait être exprimé.

I. 3. L’impact sur le récit de l’auteur

I. 3. 1. L’amnésie dissociative

L’amnésie dissociative est caractérisée par une incapacité à se rappeler d’expériences, informations, qui ne peut se réduire à un oubli banal (APA, 2013, pp. 345). Elle remplirait une fonction protectrice de minimisation des conséquences émotionnelles négatives du traumatisme, soit en altérant l’encodage de l’expérience traumatique soit en altérant la récupération de celle-ci. L’aspect neurobiologique et l’impact du TSPT sur la mémoire et l’attention, permettent d’expliquer de manière plus précise ce trouble.

Dans une étude de Pyszora et. al., (2014), l’échantillon était composé de 207 participants tous condamnés à perpétuité en Angleterre. Cette étude vient confirmer que le facteur le plus important en corrélation avec l’amnésie était la dissociation. Le temps de l’épisode amnésique dépendrait quant à lui de l’intensité de la dissociation. En effet, les participants ayant une période amnésique supérieure à 15 minutes avaient des scores plus élevés de dissociation péri-traumatique que ceux présentants une période amnésique plus courte.

Un deuxième facteur important associé à l’amnésie venant confirmer les résultats de Moskowitz (2004, 2009), était son apparition dans le contexte d’un crime où l’auteur avait des liens affectifs avec la victime.

Il n’y avait pas de différence significative concernant la présence ou non d’amnésie avec la présence d’antécédents de traumatismes, du nombre de traumatismes vécus, de traumatismes crâniens, d’antécédents de problèmes mnésiques, de niveau intellectuel, ou encore de dépendance à l’alcool ou d’autres substances.

Par ailleurs, la grande majorité des participants ont rapporté une amnésie partielle liée à leur infraction et non une amnésie totale. Chaque participant amnésique ont pu par contre se souvenir de l’événement qui précédait et qui avait déclenché le comportement violent et les conséquences immédiates de leur violence, notamment les blessures infligées à la victime.

Cependant les individus du groupe amnésique étaient significativement plus susceptibles de se percevoir comme n’ayant peu voire pas de contrôle sur eux même lors du passage à l’acte.

Outre l’amnésie dissociative, nous avons pu évoquer que les états dissociatifs lors d’un événement traumatique pouvait avoir un impact sur le vécu émotionnel de l’événement.

I. 3. 2. L’anesthésie émotionnelle

Le caractère désaffectivé, si souvent décrit chez les auteurs d’actes de violence, pourrait alors se comprendre comme une conséquence secondaire aux actes posés.

Concernant la régulation des émotions nous pouvons citer l’alexithymie(Sifneos, 1979). Elle serait susceptible de se développer à la suite de traumatismes psychologiques importants chez l’enfant, comme la maltraitance, avant que celui-ci puisse penser, comprendre et distinguer sur le plan psychique les différents états émotionnel. En effet, les personnes ayant un TSPT, seraient plus sujettes à présenter une difficulté à extérioriser et à verbaliser leurs émotions ou à identifier et à décrire leurs émotions (Bankier et al., 2001).

De plus, la présence d’un déficit dans le traitement des émotions est susceptible d’affecter la santé mentale en favorisant des comportements agis inappropriés et destructifs pour autrui et pour soi-même dans le but de réguler ces états affectifs (Porcelli et Mihura, 2010).

Dans une étude, Maisondieu (2008) fait la distinction entre l’alexithymie évoquée ci-dessus et l’alexithymie réactionnelle qui pourrait être secondaire à la commission du crime, à la condamnation ou encore à la condition carcérale. Ils décrit ce trouble de type réactionnel, ayant pour fonction de protéger l’individu du stress et de la dépression et d’éviter l’effondrement psychique.

Il constate chez les détenus une difficultés à identifier et à distinguer et verbaliser leurs états émotionnels, une réduction de la vie fantasmatique avec une pensée opératoire, un mode de discours tourné vers les aspects concrets au détriment de l’aspect affectif. L’arrêt de la pensée, l’évitement des souvenirs concernant les événements de leur vie passée et des faits les ayant amenés en prison, permettent « l’étouffement » de leurs émotions.

Au regard des différents éléments évoqués, nous pouvons alors questionner l’impact de ces derniers tout au long du parcours judiciaire de l’auteur et plus particulièrement lors des expertises psychiatriques et/ou psychologiques et lors du procès.

II. ENJEUX MEDICO-LEGAUX DANS LE PARCOURS JUDICIAIRE DE L’AUTEUR

II. 1. Le parcours pré-sententiel : l’expertise

II. 1. 1. L’impact de l’amnésie dissociative

Lors de l’instruction, une ou des expertises psychiatriques, médico-psychologiques ou encore criminologiques peuvent être demandées. Lorsqu’il s’agit d’une infraction grave et complexe, plusieurs dualités d’experts sont alors conseillées.

Conformément au Code Pénal, l’expertise psychiatrique pré-sentencielle, autrement dit avant jugement, a pour but de repérer les troubles mentaux et de déterminer si ces derniers sont en rapport avec le passage à l’acte criminel mais aussi d’évaluer la notion de risque et de dangerosité.

Aujourd’hui, les missions nommées dans les réquisitions d’expertise portent aussi sur l’état, les ressentis du mis en cause lors de son acte, ainsi que les conséquences de cet acte sur lui.

L’état dissociatif potentiellement rencontré par l’auteur lors de son passage à l’acte prend alors toute son importance.

Toutefois, D’après Decamps et Phésans (2008), le travail d’analyse psychologique ne peut avoir sa pertinence que dans le cas où la personne reconnait entièrement avoir commis les faits.  Ces auteurs pointent l’importance que l’individu soit en accord avec la place qui est la sienne dans la procédure et par conséquent dans l’examen.

Cependant, nous avons pu observer que la situation peut être plus complexe que la reconnaissance ou non des faits – en particulier dans le cas d’amnésie dissociative. L’impact d’un éventuel traumatisme, d’un état dissociatif et des mécanismes qui le sous-tendent, doivent alors être considérés sérieusement.

En cas d’amnésie chez l’auteur du passage à l’acte, la question d’une éventuelle simulation se pose. En effet, on peut imaginer qu’à des fins personnelles, un auteur choisisse de simuler une amnésie en espérant que cela lui permette de bénéficier de la clémence du ou des magistrats ainsi que des jurés (Bourget et al., 2007). Toutefois, comme nous l’avons précisé auparavant, l’auteur de crime peut montrer une amnésie le plus souvent partielle et rapportera une perte de contrôle lors de son acte avec des phénomènes de dépersonnalisation et de déréalisation. Cela permet donc d’avoir des critères en tête concernant l’amnésie et le contexte où elle peut apparaitre.

De plus, nous avons vu que l’amnésie dissociative était liée à un état dissociatif pouvant relever du traumatisme généré par l’acte posé. Par conséquent, lors des expertises, une échelle spécifique de la dissociation peut donc être utilisée telle que la Dissociative Experiences Scale (Carlson et Putnam, 1993) afin d’évaluer si une expérience dissociative a pu être vécue par l’auteur lors de l’acte. L’évaluation de la présence de cet état dissociatif au moment de l’acte donnera une indication importante sur une éventuelle amnésie.

Les antécédents psychiatriques et personnels de l’individu devront donc aussi être pris en compte, notamment les antécédents de traumatisme pouvant laisser suggérer un TSPT complexe. Cependant, comme évoqué précédemment, il n’y a pas toujours d’antécédent d’expériences dissociatives, ce qui ne vient pas pour autant invalider l’hypothèse d’un état dissociatif lors du passage à l’acte.

Un des points importants dans l’établissement de la vérité judiciaire est la « constance dans le récit » (Bourget et al., 2017). Or, la contamination de la mémoire par des éléments acquis lors de la procédure telle que l’audition est possible. En ce sens, sachant que l’amnésie dissociative peut découler d’un déficit en récupération, des indices, informations et preuves, évoqués lors de la procédure, peuvent servir d’amorçage et donc avoir un impact sur la récupération mnésique. Il sera donc important que l’expert et clinicien prenne cela en considération afin de ne pas conclure hâtivement à une simulation d’amnésie alors que cette non-constance du récit, peut provenir d’une récupération d’informations découlant simplement d’une évolution mnésique due à un rappel indicé.

Les connaissances sur l’amnésie dissociative sont donc nécessaires et sont un véritable enjeu dans le parcours pré-sententiel et plus particulièrement dans l’expertise judiciaire. Cependant, outre l’amnésie quant à l’infraction, l’absence de ressentis ou du moins l’impact sur les émotions et leur mise en mot peuvent avoir, elles aussi, des conséquences considérables sur le parcours judiciaire de l’auteur.

II. 1. 2. L’impact de l’anesthésie émotionnelle

L’imaginaire collectif renvoie fréquemment à la représentation du criminel froid, sans sentiment, émotion et culpabilité. Cela génère du rejet, de la peur, mais en parallèle une certaine fascination.

Nous pouvons imaginer l’impact de cette absence de ressenti sur le parcours judiciaire. En effet, une des recherches principales du corps judiciaire est la prise en compte, par l’auteur, d’un point de vue intellectuel mais aussi plus particulièrement affectif, des conséquences de son acte sur la victime, ses proches et la société. Cela peut alors être altéré par une absence de ressenti et par conséquent une réponse émotionnelle inadaptée et inattendue d’un point de vue social et judiciaire.

L’éclairage du clinicien sur les différentes causes de cette absence de ressenti est donc primordiale. Ces causes peuvent bien-sûr venir d’un type de personnalité et de troubles psychopathologiques découlant d’expériences traumatiques durant l’histoire du sujet. Mais elles peuvent être aussi le fruit de l’état dissociatif provenant de l’acte posé par l’auteur, par protection l’ayant « coupé » de ses émotions et générant une sensation d’étrangeté avec les symptômes dissociatifs cités auparavant tels que la déréalisation et dépersonnalisation ou encore un syndrome de répétition.

Ces sensations peuvent engendrer une certaine passivité chez l’auteur voire une place de victime. Il est nécessaire dans leur prise en charge de pouvoir laisser un temps à cette position passive. Cependant, lors d’une expertise, cette centration sur soi, au dépend de la prise de conscience des conséquences sur la victime, vient questionner sa capacité de remise en cause, de travail sur soi et par conséquent de changement.

L’expertise demande logiquement à l’auteur de faire le récit des faits auprès d’un clinicien, chose à laquelle il a déjà été confronté au moment de son/ses audition(s) en tant que mis en cause d’une infraction. La présence de symptômes dissociatifs et d’évitement comme mécanismes de protection peuvent alors venir se confronter à la méthodologie de l’expertise.

Celle-ci peut d’ailleurs provoquer de nouvelles « disjonctions » au moment même du récit de l’auteur concernant ses actes, engendrant alors à nouveau une anesthésie émotionnelle et une recrudescence des troubles.

En ce sens,  Felmingham et al. (2008) obtiennent des résultats à leur étude suggérant que la dissociation est une stratégie de régulation, en particulier chez les personnes montrant des symptômes dissociatifs accrus en lien avec le traumatisme. Cette stratégie de régulation émotionnelle, bien qu’utile à des fins protectrices pour eux, peut poser problème dans le parcours judiciaire. Dans le cas d’une interprétation hâtive, cela pourrait être préjudiciable pour l’auteur comme pour la victime et/ou ses proches, tout en alimentant l’imaginaire collectif d’un auteur dépourvu d’émotion voire même d’humanité.

II. 2. Le procès

Selon la qualification des infractions, elles seront jugées devant différentes juridictions. La Cour d’Assise sera celle concernée pour les infractions criminelles et se déroulé de façon orale, publique et contradictoire.

Dans le cas d’un auteur présentant un état dissociatif ayant provoqué une amnésie dissociative partielle, ou encore une dysrégulation émotionnelle de type anesthésie et détachement, on peut supposer que l’impact puisse être considérable sur son interrogatoire, sur sa posture tout au long de l’audience et par conséquent sur l’image donnée et retranscrite par les médias, ou simplement observée par les différents acteurs du procès.

En effet, un nombre restreint de professionnels sont formés aux conséquences d’un traumatisme, et sa symptomatologie peut être complexe, qu’il s’agisse de troubles dissociatifs chroniques ou transitoires.

En règle générale, seuls les experts sont formés de façon approfondie au psychotraumatisme et ces derniers n’interviennent que brièvement lors de l’exposé de leur rapport, ne s’en tenant qu’à l’expertise, et à l’entretien.

Lors de l’exposé de certains professionnels, tels que le médecin légiste, par exemple, évoquant ses observations quant à la victime et à la scène du crime au moment de la levée de corps, on peut faire l’hypothèse que de tels stimuli viennent provoquer chez l’auteur des reviviscences allant jusqu’à déclencher à nouveau « une disjonction » à des fins protectrices.

Toutefois, il est bien sûr nécessaire que chaque professionnel, et « évaluateur » puisse citer leurs observations afin que le jugement reste oral, public et contradictoire. Cependant, l’interprétation des réactions de l’auteur lors du jugement aux Assises est centrale. En effet, les jurés seront amenés à la fin du jugement à « se décider suivant leur intime conviction » (J. C Soyer, Droit et Procédure Pénale, pp 409) en fonction de ce qu’ils auront entendu et observé lors du procès.

De plus, la victime ou les proches de celle-ci en se portant partie civile sont alors présents lors du procès. On imagine alors l’enjeu du déroulement de celui-ci pour la victime et/ou ses proches, ainsi que le risque de sur-victimisation lié au parcours judiciaire de façon plus globale. En ce sens, la confrontation à une sensation d’indifférence pouvant être interprétée comme une absence d’humanité de l’auteur, l’absence d’expression authentique des ressentis de celui-ci face à son infraction ainsi que l’absence de mise en mots de sentiment de honte et de culpabilité lors du procès peuvent venir nier la qualité d’être humain de la victime ainsi que la souffrance infligée aux proches de celle-ci et avoir un impact conséquent sur ces derniers.

Par ailleurs, les interactions au sein du procès peuvent alors avoir des enjeux non négligeables sur la majoration des troubles de l’auteur suite à un état dissociatif. Cela méritera donc d’être repris au cours de sa prise en charge.

CONCLUSION

 

            Nous avons pu constater que le TSPT, et plus particulièrement la symptomatologie dissociative liée à celui-ci, avait un impact sur le comportement violent et plus particulièrement le passage à l’acte criminel. En effet, au delà de la présence d’antécédents traumatiques durant l’enfance pouvant impacter le fonctionnement, nous avons souligné que le passage à l’acte lui même pouvait être à l’origine d’un TSPT et d’un état dissociatif.

En lien avec cet état, l’auteur peut donc présenter une amnésie dissociative, le plus souvent partielle, ainsi que des troubles de régulation émotionnelle, pouvant engendrer un certain détachement, laissant la personne comme déconnectée de son environnement.

L’impact de ces symptômes sur le parcours judiciaire de l’auteur n’est alors pas des moindres. Lors du procès, cette symptomatologie peut avoir un impact sur l’auteur, mais aussi sur la victime et/ou ses proches ainsi que sur tous les acteurs du procès.

Le traumatisme de l’auteur en lien avec son acte criminel, ou encore les répercussions sur son récit lors du parcours judiciaire, viennent questionner sa prise en charge de façon globale. En effet, certaines études (Harry, Resnick, 1986, Collins, Bailey 1990, Dutton, 1995) montrent que la symptomatologie de TSPT chez l’auteur va avoir un impact aussi sur le risque de récidive et sur la qualité de la prise en charge de celui-ci.

La culpabilité est recherchée de façon active tout au long du parcours judiciaire de par son lien à une éventuelle capacité de remise en question et de changement permettant alors une évolution favorable de l’individu au sein de la Société. Il pourrait alors être pertinent d’étudier l’impact du TSPT et des symptômes dissociatifs sur celle-ci.

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Laetitia DOUKHAN

Psychologue clinicienne

Unité Médico-Judiciaire du Centre Hospitalier René-Dubos de Pontoise.