Résumé
Au Maroc, les normes de genre et de sexualité ont de sévères gardien/nes, potentiellement en la personne de tout/e citoyen/ne. Les situations sont diverses et connaissent des réactions plurielles en fonction des rapports de classe et de race traversant la société marocaine. La transgression des normes de genre se paie toutefois généralement d’une cruelle répression physique, sociale, juridique et médiatique.
Peut-on cependant ici parler de traumatisme ? Est-il légitime de dire, en tout temps et tout lieu, que le genre, ou la sexualité sont des assignations traumatiques ?Comment utiliser ici cette notion dans sa spécificité psychanalytique (et non psychiatrique ou médiatique) et quelles implications a cette utilisation à la fois dans la révélation des limites ethnocentrées que peut connaître une psychanalyse universaliste, mais aussi dans la définition de ce que l’auteur appelle « psychanalyse mineure » ?L’auteur se propose de faire rapidement l’archéologie et la généalogie de cette notion, pour voir ensuite comment, utilisée de manière particulière, elle perpétue des subalternisations.
Introduction
Le 9 mars 2016, plusieurs hommes font irruption chez un habitant de Beni Mellal (Maroc), l’agressent violemment lui et son partenaire, et les trainent, dénudés et le visage en sang, dans la rue. La scène est filmée et diffusée sur les réseaux sociaux. Lorsque le procès a lieu, quelques jours plus tard, les deux victimes sont condamnées à quatre mois de prison ferme pour « actes sexuels contre-nature », au nom de l’article 489 qui pénalise l’homosexualité, et deux des agresseurs à deux mois de prison avec sursis.
Moins d’un an auparavant, le 3 juin 2015, deux hommes sont interpelés pour s’être embrassés devant la Tour Hassan (monument historique fréquenté à Rabat). La chaine El Oula (la Première) communique leur identité et leurs photos lors de son journal télévisé : de violentes manifestations homophobes ont lieu devant leur domicile, puis les deux hommes sont condamnés à quatre mois de prison ferme.
Le 29 juin 2015, un chauffeur de taxi force sa passagère trans à descendre de son véhicule à 1h30 du matin, en criant haut et fort que c’est un [ḫanîṯ], insulte locale pour désigner indifféremment un « inverti » ou « homme efféminé ». ( [ḫanaṯa] : « se dit d’un homme qui manifeste un adoucissement, une fêlure, faisant qu’il est à l’image des hommes et au tempérament des femmes »). Une horde de personnes entoure la femme trans, la roue de coups, la renverse sur le sol, continue à la frapper et filme la scène par téléphones portables, pour la publier ensuite sur les réseaux sociaux. Si le Ministre de la Justice marocain affirme que les assaillant/es doivent être poursuivi/es, il déclare également que les « homosexuels » (sic) doivent éviter de « provoquer la société » et que les citoyens n’ont pas à « faire appliquer la loi eux-mêmes » – loi donc enfreinte par la victime en raison de son apparence.
Plus récemment le 31 décembre 2018, une femme trans est arrêtée après un banal incident de circulation : interpelée par quatre agents de police, elle est agressée sous leurs yeux par une foule proclamée gardienne des bonnes mœurs au Maroc, filmée à son insu, et l’agent qui l’arrête diffuse sur les réseaux sociaux des photos d’elle ainsi qu’une copie de sa carte nationale et militaire. Elle dit mettre en place actuellement une procédure de demande d’asile pour quitter le Maroc, où elle ne peut plus vivre.
Et la médiatisation se poursuit, dans une confusion entre homosexualité et transidentités, orientation sexuelle et identification de genre, les deux rendues équivalentes pour la menace qu’elles portent sur le privilège masculin, ou la masculinité hégémonique. Ainsi l’épisode du 29 janvier 2019 de l’émission « Mintaka Mahdoura » (Zone interdite), consacré aux transidentités, confronte deux marocaines transgenres à une psychocoach qui accuse les familles des deux femmes, les dénigre, les interrompt en leur lançant un « vous n’arrêtez pas de parler, c’est donc que vous êtes probablement bien des femmes », et s’appuie sur un hadih (dont elle n’est pas sure) pour inciter à tuer toute personne s’adonnant aux pratiques du peuple de Loth. La présentatrice tente de modérer ses propos en indiquant qu’il s’agit là d’un appel au meurtre.
Les exemples de ces exactions sont malheureusement multiples. Ils viennent indiquer qu’au Maroc les normes de genre et de sexualité ont de sévères gardien/nes, potentiellement en la personne de tout/e citoyen/ne, et que leur transgression se paie d’une cruelle répression physique, sociale, juridique et médiatique. Les personnes ici concernées, violentées par la majeure partie de leur entourage, se voient condamnées à l’opprobre, ostracisées, défaites de l’étayage du groupe, écartées socialement et juridiquement, lorsque le secret de leurs choix de genre ou de sexualité est rendu public. Bien sûr, les situations sont diverses et connaissent des réactions plurielles en fonction des rapports de classe et de race traversant la société marocaine. C’est cependant généralement à une violence inouïe qu’elles sont confrontées.
Peut-on toutefois ici parler de traumatisme ? Est-il légitime de dire, en tout temps et tout lieu, que le genre, ou la sexualité sont des assignations traumatiques ? Que les dissidences de genre et de sexualité, lorsqu’elles sont marginalisées, réprimées, massacrées, relèvent du trauma ?
Qu’est-ce à dire ici et quelles sont les implications de cette position ? D’où vient cette nomination de trauma et quels effets psychiques, sociaux et politiques provoque-t-elle ? Comment l’utiliser ici dans sa spécificité psychanalytique (et non psychiatrique ou médiatique) et quelles implications a cette utilisation à la fois dans la révélation des limites ethnocentrées que peut connaître une psychanalyse universaliste, mais aussi dans la définition de ce que j’appelle une « psychanalyse mineure » ?
Je souhaiterais faire rapidement l’archéologie et la généalogie de cette notion, pour voir ensuite comment, utilisée de manière particulière, elle perpétue des subalternisations.
Théorie du trauma et psychanalyse
Définitions métapsychologiques
Il semble judicieux de commencer par rappeler certains aspects de la définition métapsychologique du trauma. Si Freud retient certains aspects contemporains du traumatisme (le « railway spine » de Oppenheim, repris par Charcot ou par Janet, et désignant les accidents de train puis accidents du travail), le trauma en psychanalyse fait davantage référence à la « réception subjective » d’un événement, qu’à l’intensité de cet événement. C’est l’incapacité où se trouve le sujet de répondre adéquatement à un élément de la réalité extérieure, l’afflux excessif d’excitations non-maîtrisables ni élaborables qui caractérise le trauma, un choc violent, faisant effraction dans l’appareil psychique et entraînant des conséquences sur l’ensemble de l’organisation.
Dès les Études sur l’hystérie, ce sont des circonstances spécifiques qui confèrent à l’événement sa valeur traumatique : conditions psychiques (états hypnoïdes), circonstances sociales, ou conflit psychique, qui entravent l’ « abréaction » et l’intégration de l’expérience à la personnalité consciente. Si une conception essentiellement sexuelle – au sens étroit d’abord, puis élargi du sexuel-infantile – du trauma s’affirme à la fin des années 1890, elle est contemporaine d’un di-phasage : une deuxième scène, souvent d’apparence anodine vient réveiller une première scène dite de séduction lors de laquelle un enfant subit les avances sexuelles d’un adulte. La première scène n’est donc traumatique, du point de vue économique, et ainsi pathogène, qu’après coup. Cette conception d’un sexuel di-phasé laisse entendre, avant l’abandon de la neurotica, que les événements extérieurs tirent leur efficace des fantasmes.
Contre la « réalité » du traumatisme, c’est une progressive déréalisation qu’en propose Freud. Il est d’abord conçu comme « traumatisme psychique »1, diffracté en « plusieurs traumatismes partiels, plusieurs motifs groupés qui ne deviennent actifs qu’en s’additionnant »2, puis en souvenir de traumatisme, « réminiscence », essentiellement affective. Plus encore, le traumatisme, devenant « trauma », est assez vite détaché d’un événement de la réalité extérieure : l’abandon de la neurotica, et la conception du trauma comme effraction interne le lie au fantasme. Cette conception est d’importance : à terme, c’est le sexuel qui constitue le trauma propre à la vie psychique et qui y opère par le fantasme.
Les névroses d’accident ou de guerre viennent, plus tard, ajouter à la théorie du trauma la question de la compulsion de répétition et de la pulsion de mort : plus que simple perturbation de l’économie libidinale, le trauma met à mal l’intégralité du fonctionnement du principe de plaisir, et la possibilité de la liaison. La théorisation du signal d’angoisse, dans Inhibition, symptôme, angoisse, comme tentative du moi d’éviter la submersion par l’angoisse automatique, diffracte alors le trauma du désaide en autant de micro-traumas.
En ce sens, chez Freud, l’abandon de la théorie de la séduction, la rupture de fonctionnement du principe de plaisir ou la question du signal d’angoisse contre une attaque pulsionnelle, plus dangereuse qu’une attaque du dehors, viennent évincer, dans le trauma, l’idée d’un agent externe déterminant – ce qui n’est pas le cas des conceptions actuelles du trauma, comme on le verra.
Le trauma est donc lié au sexuel-infantile, sexuel « élargi », issu toutefois, conjoncturellement, de la rencontre par Freud d’une sexualité chez des patientes hystériques refusée par Charcot. En effet, ce sexuel-infantile n’est d’abord rattaché principalement aux pratiques sexuelles que du fait d’un contexte historique particulier : celui de la morale sexuelle « civilisée » décrite par Freud. En d’autres termes, ce ne sont pas tant les pratiques sexuelles que Freud vise, que les renoncements pulsionnels produits par un contexte culturel qui promeut l’abstinence et inféode la sexualité à la reproduction. La sexualité, comme ensemble de pratiques sexuelles, n’est alors pertinente pour Freud qu’en tant qu’elle fait l’objet d’une emprise par la morale « civilisée ». Si le sexuel-infantile est caractérisé par la défonctionnalisation de la pulsion (la dissolution de sa soudure avec un objet particulier), il y fort à croire que les pratiques sexuelles trouveraient une centralité différente dans le cadre d’une morale différente – d’un contexte social et culturel autre, historiquement, ou géographiquement.
Ceci ne manque pas d’avoir des conséquences autant dans la production de la psychanalyse à la fin du XIXè siècle, que dans sa théorisation du trauma.
Dispositif de sexualité et assignations de genre
Que le sexuel infantile que thématise la psychanalyse et qu’elle place au fondement du trauma soit en effet distinct de la sexualité (comme pratiques sexuelles) ne retire pas ce sexuel-infantile de la conjoncture socio-politique et du contexte discursif dans lequel surgit sa théorisation : celui que Foucault nomme dispositif de sexualité. Sans entrer dans les détails, je rappellerai ici que les deux caractéristiques principales du dispositif de sexualité tel que le définit Foucault dans La Volonté de savoirsont
- l’idée que la vérité, secrète, du sujet, tient à son discours sur sa sexualité, (dans le cadre d’un dispositif de savoir-pouvoir examinant, classifiant, hiérarchisant, et ainsi contrôlant les sexualités) ;
- et l’idée que le pouvoir n’entretient avec la sexualité qu’un rapport de répression (là où c’est une entreprise de savoir-pouvoir faisant proliférer les sexualités par la démultiplication des discours qui les visent).
Ces deux idées (discours sur la sexualité et régime de pouvoir répressif) se retrouvent dans les conditions discursives d’émergence de la psychanalyse, de sa thématisation du trauma, mais aussi des réactions au dispositif de sexualité dans la visibilisation et « libération », dans l’aire occidentale, des homosexualités et transidentités (définissant ainsi, loin d’une échappée au pouvoir, de nouvelles configurations des relations de pouvoir : des identités gay ou lesbiennes ou trans, ou bi, ou intersex, instituant de nouvelles catégories, se faisant l’écran de projections et d’attentes sociales particulières, le lieu de relations économiques et de développements de consommation particuliers, etc.)
Je le répète ici, ce lien, entre le sexuel-infantile et la sexualité, propre aux conditions discursives d’émergence de la psychanalyse, de sa thématisation du trauma, n’est que conjoncturel : lorsque l’on affirme que le sexuel-infantile est en soi traumatique, il n’est pas nécessaire de le rattacher à des pratiques sexuelles. Ce qui signifie qu’à d’autres époques et en d’autres lieux que la Vienne bourgeoise de la fin du XIXè siècle, le sexuel-infantile du trauma n’a pas nécessairement partie liée à des pratiques sexuelles, et celles-ci, réciproquement, ne sont pas nécessairement provocatrices de trauma. Mais cela implique également que le vécu des configurations de genre et de sexualité des aires non-occidentale ne se calque pas nécessairement sur le dispositif de sexualité : en d’autres termes, sur des sexualités productrices d’identités, et impliquant, pour leur « libération », un dire de soi. Le rapport au corps, aux savoirs proliférant sur les pratiques, à la scientia sexualisn’est pas le même que dans l’aire européenne et occidentale.
Comment, par ailleurs le genre ou la sexualité peuvent-ils être des assignations traumatiques ?
Je choisis ici un modèle (parmi bien d’autres possibles) de la lecture du trauma. Si l’on reprend la lecture laplanchienne de ces questions, le sexuel-infantile est traumatique en ceci que dans le cadre de la séduction généralisée, il est provoqué par l’adulte dans l’enfant, par le truchement d’un message énigmatique venant de l’adulte en charge des soins portés à l’enfant, message dont la traduction n’est pas sans reste. C’est là pour ainsi dire la première scène du trauma. Les restes irréductibles de cette traduction sont ce qui constitue l’inconscient de l’enfant, le « sexual », en termes laplanchiens. Des « codes, schémas narratifs préformés » sont utilisés par l’infanspour traduire les messages énigmatiques de l’adulte, et fournis « par son environnement culturel général »3. Ces schémas incluent « aussi bien des codes comme ceux (classiques) du ‘complexe d’Œdipe’, du ‘meurtre du père’ ou du ‘complexe de castration’ que des schémas narratifs plus modernes, en partie apparentés aux précédents, mais en partie novateurs »4, susceptibles donc de changer au gré des transformations culturelles : ils sont historicisés.
Le genre est d’abord défini par Jean Laplanche en ces termes :
« Le genre, à mon sens pour le définir, le terme capital, je ne suis pas le seul à le dire d’ailleurs, c’est celui d’‘assignation’. Assignation souligne le primat de l’autre dans le processus. […] L’assignation est un ensemble complexe d’actes qui se prolonge dans le langage et dans les comportements significatifs de l’entourage. On pourrait parler d’une assignation continue ou d’une véritable prescription. Cette idée d’assignation ou d’‘identification comme’, change complètement le vecteur de l’identification. Je pense ici qu’il y a ici une façon de sortir de l’aporie de cette si ‘belle’ formule de Freud qui a fait tellement cogiter et commenter : ‘l’identification primitive au père de la préhistoire personnelle’. […] Ne serais-ce pas, plutôt qu’une ‘identification à’, une ‘identification par’. En d’autres termes je dirais : ‘identification primitive par le socius de la préhistoire personnelle’»5.
Mais le genre est aussi pluriel, là où le sexe est duel, dans la conception de Laplanche6. Le sexual, ou inconscient, est alors défini comme résidu inconscient du refoulement-symbolisation de la pluralité du genre par la dualité du sexe (binarité régie par des codes ou schémas narratifs préformés, historiquement définis).
L’assignation de genre s’avère traumatique lorsque ce qui, dans l’événement homophobe ou transphobe, est réactivé du fantasme, correspond au reste intraduisible inconscient transmis par l’adulte à l’enfant. Et c’est là, en termes freudiens, la deuxième scène, l’après-coup qui rend traumatique, dans un deuxième temps, les restes intraduisibles concernant le genre ou la sexualité transmis par l’adulte à l’enfant.
Outre la violence inacceptable qu’ils perpètrent, des actes d’homophobie ou de transphobie peuvent-être traumatiques non pas en ceci que le sexuel-infantile qu’ils réveillent est lié à des pratiques sexuelles, mais que l’agression, l’insulte, l’ostracisation, les menaces, les coups et les exactions à l’endroit de personnes gay, lesbiennes, bi, trans, queer, intersex, viennent signifier un effondrement de l’étayage du groupe, qui entre en résonnance avec de multiples fantasmes possibles (isolement total du sujet, représentation dépréciée et coupable d’une sexualité autre, introjection du dénigrement de pratiques non-binaires, etc.), mais surtout avec les fantasmes de genre et de sexualité issus du message énigmatique et non-traduits.
Si donc des discriminations de genre ou de sexualité s’avèrent traumatiques au Maroc, ce n’est pas en vertu d’un modèle universalisable où les fantasmes résultant des restes intraduisibles transmis par l’adulte seraient les mêmes. L’assignation par autrui du sujet à un genre et une sexualité reste en vigueur, mais selon des configurations de genre et de sexualité qui sont autres ici : des codes ou schémas narratifs procédant d’un univers mytho-symbolique différent, et produisant donc des traductions conscientes et des restes intraduisibles différents.
Homosexualités au Maroc
On ne peut donc pas parler de « trauma » lié à des discriminations de genre ou de sexualité de manière indifférenciée au Maroc, parce que les configurations des genres et sexualités diffèrent. Pour éclairer cela, je me centrerai ici sur les « homosexualités » (beaucoup plus documentées que les transidentités, bien que, il faut le reconnaître, la distinction entre choix d’objet et identification – orientation sexuelle et identité de genre – soit elle aussi un produit du dispositif de sexualité occidental).
Il conviendrait de mettre ici des guillemets à “homosexuel”, pour la création médicalisée occidentale de cette catégorie, renvoyant à une réalité d’abord pathologisée, ensuite essentialisée et hégémonisée. Si l’histoire de l’Occident efface l’importance de peuples non-occidentaux, l’histoire conventionnelle de la sexualité réduit au silence, de la même façon, les configurations, formes et arrangements multiples et divers qui échappent à l’hégémonie du dispositif de sexualité occidental. C’est là ce que rapportent diver/ses auteur/es qui étudient les sexualités au Maroc. Ainsi, pour Gianfranco Rebuccini7, l’approche des pratiques érotiques entre hommes à partir des catégories « homosexualité » et « hétérosexualité » recourt à des conceptions de la sexualité et du genre propres à l’aire occidentale, et qui procèdent du statut aberrant de l’homosexualité à partir de la fin du 19è siècle. Ces analyses perpétuent l’orientalisation d’un « monde arabe » (non unitaire), même pour les plus récentes. Il conviendrait donc de se départir de la dimension, culturellement spécifique à l’Occident, du désir comme profondément individué, intériorisé. De même qu’il y a, diachroniquement un « before sexuality »8, articulées entre elles en fonction de facteurs socio-économico-culturels, susceptibles de changer au cours de la vie d’un individu (selon l’âge, le statut, la position sociale). La masculinité est exprimée dans l’espace public, comme représentation de soi en face des autres hommes : dans l’espace privé, des plaisirs corporels, des relations sexuelles entre hommes peuvent avoir lieu sans qu’elles n’entachent cette masculinité. Les classifications ne se recoupent donc pas : il n’y a pas commune mesure entre la vision identitaire occidentale hétérosexuel/homosexuel, et celle du [rajul](homme)/ [zāmel] (« homosexuel ») du Maroc. Si [zāmel] (qui ne signifie ni homo, ni pédé, ni gay, ni passif) se réfère à une position sociale publiquement assignée plus qu’à une pratique passive avérée, à une féminisation temporaire et contingente, le statut de [rajul] ne renvoie pas à la seule activité sexuelle. Plus qu’une affaire de pratiques sexuelles décidant d’une identité, c’est ici une question de gendérisation massive où l’assignation à un genre (masculin) ne se fait pas en opposition à une identité sexuelle (homosexualité), mais à l’autre genre : un « vrai » homme est celui qui se différencie le plus des femmes. Les pratiques érotiques peuvent donc être gérées hors d’un modèle sexuel exclusif et identitaire (homosexuel/hétérosexuel), et davantage dans le cadre d’un champ relationnel de dépendance et d’autonomie interpersonnelles, inscrite dans les liens avec les autres membres de la communauté, et notamment la famille.
Selon Marien Gouyon, si les identités homosexuelles, dans une logique identitaire influencée par l’Occident, se constituent à travers une stigmatisation des milieux populaires (les garçons non identitaires étant traités de « beldiyin », blédards), elles s’affirment, s’articulent et se visibilisent momentanément à travers leur adaptation aux espaces de la ville. Ces pratiques homoérotiques sont résistantes ; elles s’intègrent dans un ensemble de stratégies sociales permettant d’échapper au stigmate de [zāmel] : le mariage, mais aussi l’exercice professionnel, l’amitié, les relations de groupe, l’humour ou le travail du sexe.
Mais les vécus et identifications homoérotiques restant traversés par la règle du tacite. La politisation des identifications homosexuelles ne repose pas sur le dire d’une identité, ou sur le fait d’interpeler l’État, mais sur une résistance quotidienne9dans la pratique et la gestion tacite d’une sexualité sans reconnaissance sociale, publique ou familiale. Il s’agit alors de voir comment un ne-pas-se dire homosexuel tout en entretenant des relations sexuelles avec d’autres hommes peut donner lieu à d’autres formes de subjectivités politiques. Ces subjectivités, toutefois, ne peuvent surgir qu’en évitant leur victimisation, depuis l’extérieur, par des mouvements de libération visant à sauver les « gays et lesbiennes » d’ un « monde arabe et islamique » (absurde unité).
Se pose donc ici une question méthodologique : si les homosexualités marocaines échappent à la vision majoritaire occidentale des homosexualités, inscrites dans le dispositif de sexualité, comment les appréhender ici à partir des outils des études gay et lesbiennes occidentales ? La question est doublement politique : il s’agit de s’émanciper du rapport colonial exercé par des modèles de libération homosexuelle inscrits en Europe de l’Ouest ou aux États-Unis, mais sans s’empêcher, toutefois, de réagir à l’oppression sociale, légale, religieuse et politique dont elles font l’objet.
L’homosexualité est légalement interdite au Maroc. L’article 489 punit d’une amende de 1200 dh et de 6 à 12 mois de prison tout « acte contre-nature » entre personnes de même sexe. Ce n’est pas une identité qui est visée, mais une pratique sexuelle. Apparaît donc ici un dilemme : demander l’abrogation de la l’article 489 en laissant entendre que les actes contre-nature désignés sont propres à l’homosexualité revient à entériner une catégorie universelle, partout identique, de l’homosexualité. D’un côté, la dénonciation de l’oppression des homosexuels au Maroc, la lutte contre l’article 489, et l’entreprise de libération des gays et lesbiennes opprimé/es peut contenir une véritable violence coloniale dans l’imposition de catégories hégémoniques qui ne correspondent pas aux réalités locales. D’un autre, on ne peut éthiquement accepter ce refus de dénoncer les oppressions au nom d’une levée du colonial, là où des vies sont soumises parfois aux pires des violences, et à une exposition à la vulnérabilité rendant leur position non viables.
Il y a dans cette dernière position (se voulant décolonisatrice) un refus total de l’hybridité caractérisant les configurations des genre et sexualités, encore plus présente dans les anciennes colonies. L’hybridité est ici propre à la fois à l’histoire coloniale assignant des sexualités aux colonisé/es, mais aussi à la période actuelle de globalisation des échanges et des modèles culturels. Revendiquer une « authentique ontologie sexuelle » arabe antérieure à ces hybridations procède alors d’un purisme déniant des brassages historiquement avérés. Il n’est de sexualité « marocaine » qu’hybride : on ne peut aujourd’hui la concevoir comme complètement coupée du dispositif de sexualité occidental, sans toutefois chercher à l’y réduire.
L’usage du terme de « traumatisme » ou trauma pour se référer aux violences des discriminations de genre et de sexualité qui ont lieu au Maroc ne peut donc être unilatéralement refusé. Le faire reviendrait à récuser l’hybridité propre à la configuration de ces genres et sexualité, qui détermine ainsi un univers mytho-symbolique hybride, et des schémas narratifs susceptibles de produire des restes de la traduction-symbolisation des messages énigmatiques de l’adulte par l’enfant similaires à ceux produits en aire occidentale, des fantasmes similaires (première scène) réactivés de manière similaire par l’acte homophobe ou transphobe (deuxième scène).
Il convient donc de reposer la question à nouveaux frais, et sur un autre plan : eu égard aux conditions socio-politiques de surgissement de la notion de traumatisme en occident, et à l’évolution de son utilisation. Il s’agira de se demander ce que l’exportation, sans réflexion, de cette notion, produit d’universalisation d’une histoire de la suspicion ou de la consécration du statut de victime, mais aussi ce qui se joue ici des relations Nord-Sud, de la formalisation des mouvements migratoires et d’une biopolitique de circulation des corps.
Traumatisme et histoire occidentale
L’empire du traumatisme
Comme le montrent Didier Fassin et Richard Rechtman, la notion de traumatisme s’inscrit dans une histoire européenne et états-unienne particulière : elle connaît une évolution particulière. Catégorie suscitant la suspicion, à la fin du XIXè siècle, elle devient gage de reconnaissance morale, sociale et juridique à la fin du XXè. Son utilisation à chacun de ces moments renvoie à des régimes de véridiction distincts :
- l’un, où les symptômes de l’ouvrier accidenté ou du soldat blessé sont systématiquement mis en doute et en demeure de s’authentifier (mauvaise foi des personnes affectées de sinistrose ou simulation des hystériques), par crainte d’une revendication abusive de compensation ;
- l’autre où surgit une expérience appelant une réparation, comme pour les accidenté/es de l’usine AZF à Toulouse, valant de témoignage, à l’instar des expériences des Palestinien/nes dans les territoires occupés, ou servant de preuve de persécution, pour les demandeur/ses d’asile, dans le cadre d’une psychotraumatologie de l’exil.
Dans ces politiquesde la réparation, du témoignage, oude la preuve, le traumatisme n’est pas seulement au fondement d’une souffrance à soigner, mais aussi d’un droit à faire valoir.
Le traumatisme résonne donc aujourd’hui comme un lieu commun, une vérité partagée incontestée, banalisant l’intervention des psychologues et des psychiatres sur le théâtre des guerres et des catastrophes, des violences extrêmes ou ordinaires. Cette vulgarisation et cette diffusion massives en généralisent un usage métaphorique, par analogie, ou mettant l’accent, à l’inverse de la notion psychanalytique de trauma, sur la réalité extérieure plus que sur sa réception.
Ainsi se profile une double histoire occidentale du traumatisme :
- celle, interne au domaine de la psychiatrie, de la psychologie et de la psychanalyse (Oppenheim, Charcot, Freud, Janet, puis les classifications du DSM, qui le construisent au gré de débats théoriques). Dans cette histoire interne, la notion résulte également d’usages pratiques (ceux de l’expertise médico-légale et de la médecine coloniale par exemple).
- La deuxième histoire est celle d’un regard social sur les traumatisé/es, militaires, ouvrier/es, sinistré/es, rescapé/es de camps, de tortures ou de persécutions, et sur l’authenticité de leur souffrance. Si l’expérience de la Shoah fournit le paradigme du traumatisme à un double titre (car construite au point le plus extrême de la violence contre l’humain, et révélée seulement après une période de silence qui en atteste la nature traumatique), cette notion, étendue autant à la victime qu’au bourreau, au titre de PTSD (Post-Traumatic Stress Disorder), légitime à la fois les souffrances et les plaintes.
Avec l’institution de la psychiatrie humanitaire, c’est à partir de l’intervention en Palestine que le traumatisme devient une préoccupation dont il faut témoigner. Mais la figure du témoin revient ici aux organisations humanitaires, porte-paroles autoproclamés des victimes, qui, elles, ne parlent pas directement. Sur la base de ces procédés se pose la question de savoir comment la représentation par les Palestinien/nes de leur situation et la défense de leur cause en sont affectées, et quelle agencyleur est laissée.
Si, en outre, le témoignage comme présentation de soi modifie la subjectivité psychique, il affecte également les personnes comme sujets politiques, dans l’image qu’elles se font et transmettent d’elles-mêmes, le regard qu’on leur porte, et la traduction de ces réalités en termes politiques. Le traumatisme comme témoignage produit l’émergence d’une nouvelle subjectivité politique : celle de la victime, à laquelle sont réduit/es les traumatisé/es10.
Enfin, le traumatisme occupe un statut de preuve visant à établir l’authenticité des tortures subies par des personnes sollicitant l’asile politique en France. Il entre dans l’épreuve de véridiction de l’asile, à travers une suspicion croissante à l’égard des demandeur/ses, susceptibles de tricher avec leur histoire et de vouloir « masquer » une situation de « clandestinité ». La convocation du traumatisme résulte alors du crédit croissant apporté à l’expertise médicale et psychologique. Cette inflation de l’expertise psychologique participe de ce que Foucault nomme « pouvoir de normalisation » : juridification d’un pouvoir médical (ici psychologique) donnant un verdict sur le sujet, et médicalisation d’un pouvoir juridique (ici celui de l’OFPRA) conférant à la décision d’accorder l’asile un effet thérapeutique.
Ce règne de l’expertise n’est pas sans rappeler, mutatis mutandis, la manière dont elle a valu en France (et vaut parfois encore) pour les personnes trans : les experts officiels psychiatres, psychologues et endocrinologues sont à même, plus que les personnes concernées elles-mêmes, de produire leur vérité en leur concédant un diagnostic de pathologie mentale (« transsexualisme », « trouble de l’identité de genre » ou « dysphorie de genre » selon les versions du DSM). Et comme pour les transidentités, se pose, pour les demandes d’asile, la question de savoir quel crédit on accorde à la parole du sujet et quelle conception du droit on convoque lorsqu’on préfère à la parole un certificat médical attestant de troubles post-traumatiques.
Le champ de la psychotraumatologie de l’exil vient donc redoubler la difficulté des demandeur/ses d’asile dit/es gay ou lesbiennes ou trans et devant donner des preuves de leur sexualité ou identité de genre qui soient conformes aux conceptions occidentales binaires de ces questions. Enfin, ce champ de la psychotraumatologie ne manque pas d’hériter de certains développements de la psychiatrie coloniale (isolant les facteurs étiologiques du caractère des Africain/es ou musulman/es), et d’une ethnopsychiatrie construite sur une altérité radicale, essentialisée et racialisée ne laissant pas de place à une reconnaissance de l’autre11. Le traumatisme apparaît donc, bien plus que comme réalité clinique, comme jugement moral : il est, concluent D. Fassin et R. Rechtman, qualification morale qui définit le périmètre des victimes légitimes.
Que signifie maintenant généraliser cette appellation à des discriminations de genre et de sexualité provenant d’anciennes colonies ?
Subalternisations
Je soulignerai ici un certain nombre de divergences qui confèrent à cette notion de traumatisme des effets particuliers si elle est accolée aux discriminations de genre et de sexualités concernant des sujets racisés ou du Sud.
Notons d’abord le contexte historique euro et occidentalo-centré de naissance et d’évolution de cette notion de traumatisme, de même que pour la notion de sexualité. Qu’on l’applique à des discriminations de genre et de sexualité, ou qu’on la refuse convoque à nouveau le même dilemme : d’un côté, l’imposition impérialiste d’une notion voulue universelle là où ses conditions d’émergence et d’évolution sont historiquement et géographiquement déterminées, de l’autre l’altérisation totale et le refus de reconnaissance d’une communauté humaine à l’autre.
Cette notion de traumatisme peut connaître une instrumentalisation à travers les témoignages qu’elle suscite : ceux-ci, dans le meilleur des cas, relèvent de l’indignation devant des exactions intolérables et d’une visée de justice, dans le pire, d’une valorisation de l’Occident comme unique lieu concédant les droits humains, condamnant alors les « autres » de l’Occident – autres arabes, berbères, africains, juifs ou musulmans – dans un véritable homonationalisme.
Je soulignerai également l’indignité provoquée par l’utilisation de cette notion comme preuve de maltraitance et de persécution pour une demande d’asile (donnant lieu à un régime d’expertise susceptible, comme dans le dispositif de sexualité, d’extraire et de produire la vérité des sujets mieux qu’eux-mêmes). Il convient de noter aussi l’approximation et l’absence de rigueur scientifique de son utilisation, guidée par un souci avant tout moral devant une gestion biopolitique de l’immigration.
Enfin, je mettrai l’accent sur les effets non point psychiques mais politiques qui résultent de l’application de cette notion à des discrimination de genre et de sexualité : concernant les subjectivités politiques et les agencies, potentialités d’action, qu’elle rend possible ou entrave.
A ce sujet, c’est alors une véritable subalternisation des « sexualités » ou identifications de genre du Sud qu’elle perpètre. Est ici soulevée la question spivakienne de savoir si les subalternes peuvent parler. Emprunté à Gramsci, le concept de subalterne, renvoie, par-delà la seule catégorie d’opprimé/e ou de dominé/e, à une exclusion radicale de la sphère de la représentation. En prenant à titre d’exemple les homosexualités marocaines, on peut donc désigner ici divers niveaux de subalternisation :
1 – Une subalternité sociale, dans le bricolage d’identifications homosexuelles multiples, fluctuantes, et qui font au Maroc l’objet de discrimination et de répressions multiples (physiques, familiales, sociales, politiques, juridiques, médiatiques)
2 – Cette subalternité sociale nationale peut alors être redoublée par une subalternisation internationale situant l’émancipation homosexuelle dans les pays du Nord et produisant ainsi une hiérarchie des configurations internationales de sexualité et de genre : une bio-politique gérant la circulation des corps des espaces de traumatisme de genre ou de sexualité, à des espaces prenant en charge ces traumatismes.
3 – Mais la subalternisation provient aussi d’une sur-exotisation. Lorsque des chercheur/es insistent sur la « gendérisation » très poussée au Maroc, lorsqu’ils/elles laissent de côté l’hybridation des sexualités, ils/elles opèrent, sans le vouloir, une véritable exotisation des sexualités au Maroc et en réduisent la pluralité.
C’est ici une totale imperméabilité culturelle qui finit par être mise en place : une altérisation des hommes marocains de classe populaire ayant des pratiques homoérotiques. Cette exotisation, paradoxalement, finit par reprendre un certain nombre de clichés propres au blanchiment des sexualités gay et lesbiennes, et à l’assignation d’une sexualité tout autre aux sujets racisés ou citoyens des pays du sud.
4 – Enfin, a lieu une subalternisation par racialisation de ces sujets et confiscation de leurs voix. La mise en exergue d’une spécificité irréductible des homosexualités marocaines populaires, mais aussi d’une expertise des traumatismes de genre et de sexualité confisque la parole des principaux/les concerné/es. Est ainsi soulevée la question de la possibilité d’une travail élaboré, analytique, spéculatif (et non pas seulement d’un témoignage ou d’une expertise) des minorités sur les minorités, que cette notion de traumatisme rend impossible.
Conclusion
Est-il pertinent d’utiliser la notion de trauma/traumatisme pour rendre compte des violences de genre et de sexualité à l’endroit des personnes homo ou trans au Maroc ? Quitte à assumer de véritables contradictions politico-intellectuelles, il convient ici de récuser les binarismes réducteurs de pensée et de complexité en renvoyant dos à dos l’universalisme et l’altérisation, le dispositif de sexualité et l’imperméabilité culturelle, les processus psychiques et leur inscription politique, pour travailler la nuance, les paradoxes, et ne pas sacrifier au simplisme.
Poser la question de la pertinence de la notion de traumatisme pour les personnes homo ou trans au Maroc revient à articuler sur un plan métapsychologique l’interrogation« les subalternes peuvent-elles parler ? » que G. Spivak posait pour penser la complexité d’énonciation des peuples colonisés. En d’autres termes, la subalternisation n’est-elle pas une composante du processus de subjectivation ? Comment ce/tte subalterne psychique peut-il/elle parler, quels effets de silence sont provoqués par les minorisations de genre, culture, ethnicité et quelle parole est alors possible en analyse ?
Considérer la subalternisation comme mode de subjectivation renverrait ici :
- autant aux processus psychiques de minorisation de ce qui sort de la norme nécessaire de subjectivation (le subalterne serait le refoulé, forclos psychique, ou ce qui a été transformé par le travail de censure),
- qu’au /à la minorisé/e politiquement, du fait de sa position de race, genre ou classe.
Qu’écoutons-nous, psychanalystes, dans nos cabinets ? Selon quelles catégories se développe l’écoute psychanalytique, l’entendabilité psychique et l’intelligibilité ? Ce qui fait silence dans la séance, est-ce cela aussi qui fut réduit au silence culturellement et historiquement, par une raison hégémonique, autant dans les modalités de l’écoute que dans les termes de la théorisation ?
Viser à écouter la subalternisation signifie alors préférer la notion psychanalytique de trauma à celle, psychiatrique, mais surtout sociale et morale, de traumatisme, sans toutefois chercher à débusquer un trauma dans toute expérience de discrimination, ce qui conduirait à nier des subjectivités politiques pour l’assignation à une psychologie de victime.
S’engager dans cette voie implique, me semble-t-il, de se déprendre d’une vision majoritaire de la psychanalyse : d’envisager un « psychanalyse mineure », selon le modèle de la littérature mineure développé par Deleuze et Guattari. Une psychanalyse mineure travaillerait à la déterritorialisation de la langue majeure psychanalytique : elle viserait à voir quel usage des notions psychanalytiques peut être effectué dans le cas spécifique de minorités cliniques – de genre, de classe ou de culture, de race. Elle tenterait, en outre, d’inscrire toute question subjective dans l’espace sociétal, historique et politique du sujet. Enfin, comme la littérature mineure, elle s’attacherait à considérer la manière dont un dire ou un acte individuel peut correspondre à une action commune, sitôt qu’il est propre à un sujet minoritaire.
Il s’agirait alors de
- souligner des exclusions perpétrées par certains discours analytiques sans viser une psychanalyse spécifique des exclu/es, érigeant des identités essentialisées,
- dévoiler l’androcentrisme de certaines perspectives sans choir dans un différentialisme binaire,
- pointer l’homophobie, la transphobie ou l’ethnocentrisme sans ériger d’identité essentialisée de genre, de culture ou d’ethnicité.
Si la notion de traumatisme d’assignation de genre et de sexualité est à reprendre, c’est alors par une approche analytique hybridée par les savoirs minoritaires, savoirs locaux, queer, trans, non-binaires, altérisés, marginalisés, féministes, postcoloniaux et décoloniaux, une psychanalyse mineure, plus susceptible d’écouter les subalternisations que la situation des minorisé/es de genre et de sexualité, mais aussi leur assignationcomme traumatisé/es, peuvent provoquer.
Thamy Ayouch
Professeur des Universités
Université Paris 7/ CRPMS
Psychologue clinicien, Psychanalyste
http://thamy-ayouch.wix.com/thamy-ayouch
http://lattes.cnpq.br/3615748752546434
Quelques publications