A l’origine, le trauma désigne une blessure physique causée par un élément externe qui fait violemment effraction sur le corps. Il se distingue du traumatisme qui, lui, désigne les effets du trauma sur l’organisme. Les termes sont donc initialement utilisés en médecine somatique puis à la fin du XIXe siècle, ils sont aussi utilisés par la psychiatrie, et notamment par Freud, avant de se diffuser dans le langage courant pendant le XXe siècle. Leur distinction devient rapidement confuse dès l’instant où les termes sont utilisés par la psychiatrie, notamment parce que la langue allemande ne contient que celui de trauma alors que les psychiatres l’utilisent essentiellement dans le sens de traumatisme. Ils désignent par ce terme, un évènement violent et soudain, qui entraine un afflux d’excitations mettant en échec les défenses psychiques habituelles. Le traumatisme entraine le plus souvent un état de sidération et désorganise plus ou moins durablement l’équilibre psychique.
Charcot, Breuer et Freud utilisent le terme pour expliquer l’origine de différents symptômes en s’inscrivant pleinement dans l’esprit causaliste de la fin du XIXe siècle, puis Freud opère un véritable glissement sémantique lorsqu’il emploie le terme, pas seulement pour désigner une cause réelle et physique, mais également une cause psychique, c’est-à-dire que le traumatisme ne porte plus uniquement sur la réalité de l’événement mais aussi sur la représentation de celui-ci. On peut donc être victime de traumatisme parce qu’on a été blessé physiquement par un obus par exemple, mais on peut également l’être parce qu’on se représente l’explosion de l’obus en voyant des cadavres, sans avoir été soi-même blessé physiquement. Dans les deux cas, la personne est victime, mais s’il est facile de constater le traumatisme physique d’un blessé de guerre, il est en revanche beaucoup plus difficile de constater un traumatisme psychique. Comment s’assurer que les symptômes décrits par le patient sont dus au traumatisme qu’il évoque ? Et plus encore, comment s’assurer qu’il a réellement les symptômes qu’il prétend ? Car la reconnaissance du statut de victime peut lui donner droit à des indemnités, que ce soit dans le cas d’un accident, d’une guerre, d’une catastrophe naturelle, d’une séquestration, d’un viol, d’un harcèlement, de violences physiques ou psychiques, de maltraitances, d’un attentat, etc. En pareilles circonstances, le traumatisme psychique peut laisser certaines suspicions chez le clinicien chargé de l’évaluer, et la tâche est donc d’autant plus délicate que son expertise n’est pas sans conséquences, tant pour la victime que pour l’institution ou la personne qui devra l’indemniser. C’est pourquoi la question du traumatisme est aussi un enjeu social très important.
Elle le devient encore plus à partir des années 80, lorsque la suspicion disparaît peu à peu des autorités publiques, et elle se renforce aussi avec l’arrivée du diagnostic d’état de stress post-traumatique comme nosographie psychiatrique à part entière. Désormais, pour toutes les situations extrêmes, telles que les attentats, les prises d’otage, l’exil contraint, les fusillades, les braquages, les missions militaires, ou les catastrophes naturelles, des cellules psychologiques sont presque systématiquement mobilisées, comme si toutes les personnes présentes devaient nécessairement être traumatisées. Le nombre d’experts et de spécialistes du traumatisme augmente donc considérablement depuis quelques décennies, d’autant plus qu’en dehors de cette clinique extrême, le traumatisme concerne aussi une clinique plus quotidienne, telles que les violences verbales et physiques, les humiliations, les insultes, le harcèlement, les abus de pouvoir, la manipulation, l’abandon, la séparation, le burn out, les discriminations de genre, d’orientation sexuelle, de race, de confession religieuse, etc. Tout évènement peut potentiellement être traumatique, c’est-à-dire faire effraction dans l’organisation psychique au point de la perturber durablement. Le traumatisme relève par conséquent d’une clinique très diversifiée et vu l’importance sociale et médiatique qui lui est accordé actuellement, il est aussi l’occasion d’interroger à nouveau les pratiques cliniques et les recherches dans lesquelles il s’inscrit.
Pourquoi un même événement est traumatique chez une personne et pas chez une autre ? Est ce que le traumatisme est seulement la cause d’un certain nombre de symptômes ? Ne peut-on pas concevoir à l’inverse que ce sont les symptômes d’une personne qui vont faire qu’une situation devient un événement traumatisant pour elle, tandis que pour une autre qui en est exempte, le même événement ne le sera pas ? Autrement dit, le traumatisme est-il la cause de certains symptômes ou en est-il au contraire la conséquence ? Y a t-il des profils psychologiques plus à risques ? Comment peut-on évaluer l’intensité d’un traumatisme ? Et comment peut-on le traiter en psychothérapie ? Les névroses, les psychoses, les états-limites, ou encore les addictions, peuvent-ils s’expliquer par des traumatismes ? Lorsqu’il intervient dans l’enfance, le traumatisme a t-il plus de conséquences pathologiques que s’il intervient à l’âge adulte ?