Résumé. Selon la théorie lacanienne chez les psychotiques le symbolique est en carence car cette opération de renvoi, propre à la catégorie du signifiant, est défectueuse du fatigue le désir de la mère est resté pour l’enfant sans médiation par la fonction du père en tant que tiers de la relation mère-enfant. Dans la schizophrénie (et certaines psychoses délirantes en général) dans des conditions spécifiques, la fonction du signifiant tombe en panne et le monde du schizophrène devient ainsi un monde où plusieurs événements sont énigmatiques et lui font signe. Le schizophrène essaie de pallier à ces signes qui l’envahissent, entre autres, par une humeur délirante et par l’apathie. Ces deux versions d’attitude correspondent à des processus stéréotypés (et humoraux) par lesquels le schizophrène essaie d’éviter l’angoisse que l’énigme du désir de l’Autre lui pose, et – en même temps – à des processus psychosomatiques de l’organe cerveau. Nous évoquons quelques mécanismes neurobiologiques qui pourraient être en rapport avec ces processus psychosomatiques.
2015/2 – (vol.3) – La transmission des maladies mentales
En dépit de nombreuses avancées scientifiques, les maladies mentales restent énigmatiques à plusieurs égards, notamment du point de vue de leur étiologie. On se demande depuis longtemps comment elles apparaissent, quels sont les facteurs susceptibles de les déclencher ? On se demande même parfois s’il existe un déclenchement, ou si au contraire elles sont présentes dès la naissance, notamment si elles sont génétiques. Les facteurs étiologiques, s’il y en a, sont-ils exogènes ou endogènes ? L’environnement joue t-il un rôle important ou secondaire, ou n’a t-il aucun impact sur la maladie mentale ? Les origines sont-elles organiques, psychiques, ou les deux ? Toutes ces questions concourent à nous demander comment les maladies mentales se transmettent. Est-ce qu’elles se transmettent entre générations, entre familles, entre cultures, entre les âges de la vie, entre les sexes, ou encore entre elles-mêmes, c’est-à-dire est-ce que le développement d’une maladie mentale conduit à une autre, ou est-ce en réalité la même, l’une est-elle incompatible à la présence de l’autre, ou sont-elles souvent liées ?
Dans nos pratiques, nous reprenons parfois cette idée de Dolto selon laquelle « il faut trois générations pour faire un psychotique » (Le cas Dominique, p. 246). Nous nous interrogerons donc sur la pertinence de cette réflexion, sur ce qui se transmet d’une génération à l’autre dans une famille de patients psychotiques, ou au contraire sur ce qui ne se transmet pas, comme les secrets de familles en témoignent, ou encore sur la pertinence du « double lien » qui serait à l’origine de certaines psychoses (Bateson, G., et al.1956, Behavioral Sciences., 1, 251-264). Autrement dit, d’un point de vue systémique, quels sont les différents facteurs susceptibles de conduire un ou plusieurs membres d’une famille à la psychose ? Et si la famille peut se concevoir comme un système faisant émerger la maladie mentale, nous pouvons pareillement envisager qu’une société fasse émerger certaines pathologies, spécifiques ou non, comme Les fous voyageurs de I. Haking. Nous questionnerons ainsi la transmission de la maladie mentale au sein d’une même société, ou encore d’une société à l’autre, et par suite, comment l’exil peut être source de difficultés psychiques, d’autant plus que la maladie mentale est parfois perçue très différemment d’une société à l’autre.
Dans ce numéro, nous ne prétendrons pas répondre à toutes ces questions et encore moins être exhaustif sur la manière dont les maladies mentales se transmettent, mais nous essaierons plutôt d’esquisser le plus largement possible la manière dont on peut concevoir la diversité de leur transmission. Il ne s’agira donc en aucun cas d’apporter une réponse définitive à l’une des questions, mais plutôt d’envisager les différentes approches possibles de la transmission des maladies mentales. Les auteurs nous inviterons ainsi à réfléchir successivement sur la transmission de la schizophrénie, en avançant une hypothèse psychanalytique qui conjugue à la fois les facteurs génétiques, épigénétiques et acquis (Dimitriadis) ; sur les différentes transmissions psychiques qui s’effectuent entre bébés et adultes, que ce soit dans un sens ou dans l’autre (Golse) ; sur la transmission des secrets pathogènes dans les familles et dans les institutions (Tisseron) ; sur la transmission en thérapie familiale, pour laquelle les auteurs proposent un exercice original avec un double niveau de lecture. Il s’agit d’une réflexion partant de la transmission de la schizophrénie, laquelle s’est construite en se transmettant d’un thérapeute à l’autre, l’un écrivant à la suite de l’autre, afin d’exprimer les multiples façons de transmettre, tant entre les thérapeutes qu’entre les membres d’une famille, ou encore entre les thérapeutes et les familles, ce qui permet d’esquisser les différents types de transmissions systémiques qui s’effectuent au sein d’une thérapie familiale (Equipe de thérapie familiale de l’Association l’Elan retrouvé). Notre réflexion sur la transmission des maladies mentales se poursuivra sur la manière dont le passage d’une culture à une autre est susceptible d’engendrer des symptômes (Chapelier) ; sur ce que l’on accepte de perdre ou non en vieillissant, sur ce que l’on transmet ou non selon les âges de la vie, en étudiant notamment le regard que l’on porte sur soi dans la traversée du vieillissement (Verdon) ; sur ce que la pratique clinique avec les transsexuel(le)s nous transmet, que ce soit des remises en cause de nos théories et de nos pratiques, ou que ce soit de nouveaux savoirs, ou encore des éclaircissements et des enrichissements de théories déjà existantes comme avec la dernière partie de l’enseignement de Lacan (Hubert) ; et enfin nous finirons ce tour d’horizon de la transmission des maladies mentales en nous interrogeant sur la manière dont elles sont mises en lien, et plus particulièrement sur les difficultés auxquelles nous sommes conduit lorsqu’on confond mélancolie, dépression, psychose maniaco-dépressive et troubles bipolaires (Douville).
Entre bébés et adulte : une histoire de transmission à double sens
Résumé. Après avoir envisagé les concepts de transmission psychique inter et trans-générationnelle au regard de la théorie de l’après-coup, l’auteur évoque ensuite les modélisations disponibles des processus de transmission (successivement selon les travaux de W.R. BION, de J. BOWLBY et de D.N. STERN), avant de conclure en présentant le système des interactions précoces entre le bébé et ses caregivers comme un espace de récit à double sens.
Les secrets pathogènes dans les familles et les institutions médico-sociales
Résumé : L’approche des secrets de famille a nécessité plusieurs renouveaux théoriques : sur les places du Préconscient et de l’Inconscient, sur le clivage, sur la symbolisation opérant sur un mode sensori affectivo moteur, et sur la réalité sociale. Ces renouveaux ont permis, dès le début des années 1980, de construire une compréhension des secrets pathogènes autour de trois concepts : le Secret comme fait psychique (écrit avec un « S » majuscule), les suintements du secret et enfin leurs ricochets sur plusieurs générations. Ils permettent aussi de mieux comprendre l’importance des secrets pathogènes dans les institutions, notamment médico sociales, et sur l’importance de la loi sociale.
Passe à ton voisin
Résumé. Comment aborder la question de la transmission en termes systémiques ? Que transmet-on aux familles touchées par la maladie mentale ? Quelle transmission émerge entre les thérapeutes, leur superviseur ou l’ensemble d’une équipe de thérapie familiale ? Via l’utilisation d’un « objet flottant » inspiré de ceux de Philippe Caillé, chaque thérapeute s’est saisi du thème, l’un écrivant à la suite de l’autre, faisant émerger une trame dense abordant de multiples registres. Il s’agit d’une retranscription fidèle d’un exercice initialement destiné pour être lu.
Quand la culture fait symptôme
Résumé. A partir du cas clinique, d’un enfant d’origine maghrébine, auquel les parents refusent de transmettre leur culture, il est montré comment cette culture s’invite sous la forme de symptômes pour initier de nouvelles identifications œdipiennes jusqu’alors défaillantes et par là éloigner les angoisses de castration.
L’incisive expérience du regard sur soi dans la traversée du vieillissement: tension, effraction, réconciliation
Résumé. Vieillir est une expérience foncièrement éprouvante, même lorsque cela se vit sans de trop grands dommages. La confrontation à des pertes et des limitations multiples et incessantes, et à la perspective de la mort à venir, engage un travail d’une grande complexité, original et cependant toujours traversé par la reprise dans l’après-coup de bien des problématiques psychiques. Invité-e/contraint-e à changer tout en restant la/le même, la femme et l’homme qui vieillit peut engager un dialogue intérieur pour affronter et peut-être lier les tensions inhérentes à cette expérience. Nous nous proposons d’en démêler quelques écheveaux en mettant l’accent sur les potentialités de rencontre avec l’enfant en soi.
La transformation radicale de la clinique comme produit de la transmission des rencontres cliniques avec des personnes transexuelles
Résumé. Les rencontres cliniques avec des personnes transsexuelles ont profondément modifié ma conception psychanalytique, en pratique et en théorie. Cette transformation radicale sera étudiée à partir de la clinique lacanienne en partant des obstacles qui se sont présentés au niveau théorique dans mon expérience clinique. La confrontation à l’énigme transsexuelle sera source d’un changement radical où le savoir produit par les personnes transsexuelles elles-mêmes a une part déterminante. Les concepts de structure ou de maladie seront exclus et c’est avec la dernière partie de l’enseignement de Lacan, les nœuds, mêlé aux théories de Marx sur la valeur qu’une logique de fonctionnement sera mise en place.
De la difficulté où nous trouvons de confondre mélancolie et dépression, PMD et troubles bipolaires
Résumé. Les bases philosophiques et méthodologiques de la psychiatrie sont en complète mutation. Les nouveaux paradigmes qui se mettent en avant une ambition d’ « athéroisme » s’accommodent mal des grands cadres de la psychopathologie classique. L’ancienne notion de manie/mélancolie disparaît au profit de la notion vague de trouble bipolaire. L’ambition de cet article est de donner une vision évidemment rapide et partiale de l’histoire de la mélancolie et d’en faire valoir la dignité. La mélancolie a une histoire ancienne, et elle touche aussi bien au domaine du médical, que de l’esthétique et de l’éthique. Le héros mélancolique antique est aujourd’hui un sujet gêné par les troubles de son humeur. Une telle disparition de ce qu’est la mélancolie est à interroger.